Au début d’une course, notre organisme doit passer d’un état de repos à une intensité élevé.
Durant une course, ou même au cours d’une séance d’entraînement, on fera varier l’intensité pour accélérer.
Ces situations demandent à l’organisme de répondre rapidement à la demande métabolique. Notre physiologie doit s’adapter au changement de rythme.
Selon Westerblad et al. (2020) « la consommation d’énergie des cellules musculaires squelettiques peut augmenter jusqu’à 100 fois lorsqu’on passe du repos à un exercice de haute intensité ».
Dans cet article nous expliquerons la cinétique de la consommation d’oxygène (VO2) et le rôle que cela joue dans votre capacité à réagir à un changement rapide de l’intensité de l’exercice.
Rappel des filières énergétiques
L’ATP est la seule forme d’énergie utilisable par les muscles. Cependant, les réserves d’ATP intramusculaire ne permettent pas la poursuite de l’exercice pendant plus de quelques secondes mais, heureusement, l’ATP peut être resynthétisée de diverses manières pour permettre à l’exercice de se poursuivre.
Idéalement, l’augmentation des besoins énergétiques musculaires (passer de repos à exercice physique) serait compensée par une augmentation instantanée du taux d’apport énergétique provenant du métabolisme oxydatif (dans lequel l’O2 est consommé comme comburant de la réaction de transformation des glucides ou graisses en ATP).
Cependant, l’énergie fournie par le métabolisme oxydatif, telle que reflétée par la mesure du VO2, augmente relativement lentement pour atteindre un état stable après environ 1 à 3 minutes selon le niveau d’entrainement (Poole and Jones, 2012). Cela serait dû à l’inertie des processus intramusculaire et au nombre d’étapes plus important dans la filière oxydative pour aboutir à la production d’ATP comparé aux autres filières.
La cinétique de la consommation d’oxygène et le déficit d’O2
L’évolution de la consommation d’oxygène après le début de l’exercice est connue sous le nom de « cinétique du VO2 » et la vitesse de la cinétique du vo2 est définie par la rapidité à laquelle le VO2 atteint un état stable.
Étant donné que la cinétique de VO2 est relativement lente, du moins par rapport à l’augmentation instantanée du renouvellement de l’énergie musculaire, d’autres voies métaboliques productrices d’énergie doivent être sollicitées pour répondre à la demande.
L’ampleur de cette demande est illustrée par le concept de « déficit d’O2 » (voir figure 1). Le déficit en O2 représente simplement la différence entre la quantité d’énergie nécessaire pour effectuer un exercice à l’intensité souhaitée pendant une certaine période de temps et la quantité d’énergie fournie par le métabolisme oxydatif au cours de cette même période.
On déduit donc qu’une quantité d’énergie équivalente au déficit en O2 doit être fournie presque exclusivement par des processus non oxydatifs pour combler le déficit (utilisation de la filière des phosphagènes et de la filière glycolytique).
Figure 1 : Schéma de la réponse de VO2 après le début d’un exercice d’intensité constante. La demande d’ATP dans les cellules musculaires en contraction augmente brusquement mais la réponse du VO2 (reflétant l’énergie fournie par le métabolisme oxydatif) augmente relativement lentement, n’atteignant le niveau d’équilibre requis qu’après quelques minutes. La zone entre la ligne pointillée et la ligne continue représente le déficit en O2 et correspond à la quantité d’énergie qui doit être fournie par les processus non-oxydatif.
La conséquence d’un grand déficit d’O2
Le corps humain dispose d’une autre réserve d’énergie rapidement disponible, la phosphocréatine (PCr). Cependant, comme l’ATP, cette ressource est très limitée. L’organisme n’a donc pas d’autres choix que d’augmenter la sollicitation de la filière glycolytique pour répondre à une partie de la demande énergétique.
Bien que ces mécanismes non oxydatifs (filière des phosphagènes et filière glycolytique) de production d’énergie soient essentiels pour permettre à l’exercice de se poursuivre pendant la période au cours de laquelle le taux de métabolisme oxydatif continue d’augmenter vers le niveau requis, leur utilisation a des conséquences négatives.
Plus le déficit en O2 est important, plus la dégradation des phosphates musculaires (ATP, PCr) à haute énergie est importante et plus l’activation de la filière glycolytique est importante, ce qui entraîne une réduction des concentrations de PCr et d’ATP, et une augmentation des concentrations de sous-produits métaboliques tels que l’ADP, le phosphate inorganique, les ions hydrogène dans les muscles qui se contractent. De plus, comme la filière glycolytique est un processus relativement inefficace, les réserves de glycogène musculaire seront épuisées plus rapidement que si la même quantité d’ATP était générée par oxydation.
Tous ces facteurs ont été associés au processus de fatigue neuro-musculaire et, par conséquent, l’accumulation d’un important déficit d’O2 dans les premières minutes d’exercice affecte négativement les performances d’endurance. Et ce, même lors d’événements tels que le marathon, au cours desquels la période de 1 à 3 minutes pendant laquelle le déficit initial en O2 est encouru peut ne représenter que 1 à 2 % de la durée totale de l’exercice. L’accumulation de métabolites modifie négativement l’environnement biochimique établi dans les cellules musculaires, de sorte que les performances plus tard dans l’événement seront impactées (MacIntosh, Brian R et al., 2012).
Il a été montré que les athlètes avec une cinétique de VO2 rapide atteignent VO2max tôt et accumulent un petit déficit en O2 (Niemeyer, Max et al., 2019). Une fois au VO2max, ils sont capables de continuer l’effort, ce que l’on mesure comme le plateau de VO2max. À l’inverse, les athlètes avec une cinétique de VO2max lente, accumulent un grand déficit en O2. Une fois au VO2max, ils ne sont plus capables de continuer l’effort car ils auront déjà accumulé beaucoup de métabolites et épuisé leurs réserves de phosphates à haut potentiel énergétique (ATP, Pcr).
Enfin, il a été rapporté que la constante de temps de la cinétique de VO2 est significativement corrélée avec le deuxième seuil (Murgatroyd, Scott R et al., 2011), ce qui suggère que les deux variables pourraient être liées par un mécanisme physiologique commun tel que la capacité oxydative des muscles squelettiques (Whipp, B J., 1987), la proportion en fibre de type I hautement oxydative (Vanhatalo, Anni et al., 2016) et la densité capillaire (Mitchell, Emma A et al., 2018).
Le rôle de la cinétique de la consommation d’oxygène dans la performance
Dorénavant, il est clair que plus la filière oxydative peut augmenter son activité rapidement (c’est-à-dire plus la cinétique de VO2 est rapide), meilleures devrait être la performance.
En effet, ce n’est pas un hasard si les athlètes d’endurance d’élite ont une cinétique de VO2 extrêmement rapide et que les sujets sédentaires, âgés et malades ont une cinétique de VO2 beaucoup plus lente (Rossiter, 2011).
Les chercheurs du projet Nike breaking 2, visant à faire passer un homme sous la barre des 2 heures au marathon, ont d’ailleurs rapporté une corrélation positive entre la constante de temps de la cinétique de VO2 et le temps au marathon (Jones, Andrew M et al., 2021). En d’autres termes, plus la cinétique de VO2 est rapide, meilleure sera le temps sur marathon.
La cinétique de VO2 est donc un facteur de performance pour les sports d’endurance. Elle est aussi probablement un facteur de performance pour les sports collectifs ou les sports intermittents, où les variations de demandes métaboliques sont très importantes.
En effet, une cinétique rapide permet aussi de mieux récupérer entre les efforts. Les athlètes accumulant le moins de déficit en O2 pourront retourner plus vite à un niveau de base car ils n’auront pas de “dettes” à rembourser.
Les coureurs d’Afrique de l’est ont souvent une cinétique de VO2 très rapide associé à une économie de course importante. C’est sûrement pourquoi leurs VO2 max ne sont pas très élevés (en comparatif à des européens du même niveau) (Jones, Andrew M et al., 2021).
Enfin, l’amélioration de la cinétique de VO2 pourrait également être importante pour l’entraînement. Par exemple, les séances d’entraînement qui visent l’amélioration du VO2max visent souvent à cumuler des temps d’entraînement proches du VO2max. Si le système oxydatif peut être amené à réagir plus rapidement, alors plus de temps pourrait être accumulé près du VO2max pour une charge de travail donnée, ce qui pourrait conduire à une séance d’entraînement plus efficace.
La constante de temps
La réponse de VO2 suit une évolution temporelle quasi exponentielle pendant les premières minutes suivant le début de l’exercice, et les réponses exponentielles peuvent être caractérisées mathématiquement à l’aide de ce qu’on appelle la « constante de temps » (τ).
Les processus exponentiels sont normalement définis mathématiquement et, lorsqu’ils sont tracés sur un graphique en fonction du temps, ont une courbe de croissance ou de décroissance caractéristique. Cependant, vous pouvez les considérer comme des processus dans lesquels le taux de croissance ou de décroissance à un moment donné est lié à la quantité présente ou au nombre présent à ce moment-là.
Un processus exponentiel est considéré comme essentiellement complet lorsque quatre constantes de temps se sont écoulées, ainsi, pour la cinétique du VO2, une constante de temps de 40 secondes (qui est caractéristique des sujets sains mais non entraînés) signifie qu’un « état d’équilibre » du VO2 serait atteint en 160 secondes environ. En revanche, il a été rapporté que les athlètes d’élite d’endurance ont des constantes de temps de 15 secondes ou moins (état d’équilibre atteint en 40 à 60 secondes environ), tandis que les patients atteints de maladies cardiovasculaires, pulmonaires ou métaboliques avancées ont des constantes de temps allant jusqu’à 90 secondes (état d’équilibre atteint en 6 minutes environ) (Poole, David C, and Andrew M Jones., 2012) !
Pour une même augmentation du taux métabolique au-dessus du taux de repos, la taille du déficit en O2 encouru par l’athlète de haut niveau pourrait être trois à quatre fois inférieures à celle du jeune sujet sédentaire et six à huit fois inférieure à celle du patient.
Bien que d’autres facteurs de performance tel que le VO2max, l’économie et les seuils, discrimineront également ces trois types de sujets, l’importance de la cinétique de VO2 pour expliquer les différences de performance à l’exercice ne doit pas être sous-estimée. En effet, chez le patient, la cinétique de VO2 extrêmement lente entraînera une fatigue musculaire rapide même lors d’exercices légers, l’empêchant ainsi de réaliser confortablement les activités de la vie quotidienne. Chez l’athlète d’endurance, l’atteinte plus précoce du VO2 requis pour la course réduira non seulement l’accumulation de métabolites qui pourraient nuire à la performance, mais « épargnera » également une partie de la quantité limitée de phosphate à haute énergie (ATP, PCr) disponible pour une utilisation ultérieure dans la course, par exemple dans une arrivée au sprint.
Conclusion
La vitesse de la cinétique de la consommation d’oxygène est un facteur de performance méconnu et pourtant très important.
De manière générale, la cinétique de VO2 sera plus importante pour les événements d’une durée de 2 à 40 minutes, ou dans les événements qui commencent par un effort supérieur au seuil dès la ligne de départ. Si vous participez à de tels événements, vous devez absolument réfléchir à votre cinétique de VO2 !
Nous verrons dans les prochains articles, si il est possible d’améliorer la cinétique de VO2 et si oui, comment ?
Bibliographie
Whipp, B J. “Dynamics of pulmonary gas exchange.” Circulation vol. 76,6 Pt 2 (1987): VI18-28.
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