Cyril Guimard, mieux former pour performer à haut niveau.

Dans cette interview, Cyril Guimard partage son analyse de la situation actuelle du cyclisme français. Fort de ses sept victoires au Tour de France en tant que directeur sportif, il propose des solutions pour améliorer la formation des coureurs et les préparer au plus haut niveau. Enfin, il évoque plusieurs mesures qu’il souhaite défendre aux côtés de Teodoro Bartuccio lors des prochaines élections pour la présidence de la FFC.

Pour commencer, peux-tu nous partager ta vision actuelle du cyclisme français ?

Pour moi, et depuis longtemps, le cyclisme français fait illusion au plus haut niveau. Depuis Jalabert, on a très peu gagné de monuments, on n‘a pas gagné de grands tours. Et ce malgré de très bons résultats chez les jeunes à certains moments. Il y a forcément des explications à cela.

Et donc pour toi, quelles peuvent être ces explications ?

Cela commence dès les catégories jeunes (jusqu’à U13). A ce moment-là on fait de l’initiation mais pas de formation. On devrait alors se concentrer sur le développement des qualités selon les stades de développement de l’enfant puis de l’adolescent. Il faudrait faire moins de vélo et diversifier beaucoup plus les pratiques (foot, basket, tennis…). Par ailleurs, le cyclisme est un sport “chiant” et peu adapté aux jeunes. L’école de vélo ne fidélise pas les pratiquants en oubliant trop souvent les notions de plaisir et de jeu.

Ensuite, dans les catégories U17 à U23 on installe les coureurs dans un confort. On fait tout pour eux et ils sont mis dans un cocon. En procédant ainsi on forme des assistés alors qu’il faut former des guerriers car le monde professionnel n’est pas facile. C’est un milieu où il faut se battre. Clairement, on est surdimensionnés chez les amateurs et cela en devient malsain. Les cyclistes amateurs sont souvent plus suivis que chez les pro, et cela sans contrepartie. Lorsque l’on passe professionnel c’est différent car il y a un contrat, un salaire. On est alors dans le milieu du travail avec les devoirs et la pression qui va avec.

Enfin, chez les professionnels, je pense qu’il y a parfois des charges d’entraînement qui ne sont pas suffisantes mais c’est plus un ressenti et je ne peux pas le confirmer.

Tu penses que les cyclistes français ne s’entraînement pas assez ?

Ce que je vois, c’est que dès le plus jeune âge on veut protéger les cyclistes. Trop souvent j’ai entendu “tu en fais trop, tu vas te cramer”. Mais on n’entend jamais ces discours là dans les autres sports. Même à l’école de vélo, on veut limiter les intensités et contrôler la charge. Mais quand je vois les jeunes footballeurs, ils font de l’intensité naturellement tout au long des entraînements. Regardez Evenpoel, qui a longtemps pratiqué ce sport et qui est au top aujourd’hui. D’ailleurs je dis souvent que tu vas te cramer si tu n’en fais pas assez. Si on roule peu, on récupère moins bien, cela devient un cercle vicieux ! Et il faut aussi apprendre aux jeunes à rouler vite. On développe ce que l’on sollicite. Si on bride trop les coureurs, ils ne vont pas développer ces qualités essentielles. C’est d’ailleurs pourquoi le piste et le cyclocross sont de très bonnes écoles.

Tu as parlé de la notion de jeu. Aujourd’hui on essaie de contrôler beaucoup de choses, avec les capteurs notamment. Qu’est ce que tu en penses ?

Je me rappelle Laurent Fignon qui avait passé un cap en contre-la-montre en enlevant son capteur de fréquence cardiaque. Aujourd’hui on donne trop de pouvoir aux outils et pas assez à son propre corps. Trop tôt, les coureurs deviennent prisonniers des datas et cela inhibe le cerveau. Selon moi, il faut revenir à quelque chose de plus naturel. Le cadre à l’entraînement est devenu trop rigide et on prive les coureurs, notamment les jeunes, du plaisir de rouler. D’ailleurs, je pense que beaucoup de surmenages ou de burnout sont dus à une pratique trop calibrée et trop contrôlée.

Pour conclure cette interview, y a-t-il des actions concrètes que tu souhaiterais voir mises en œuvre si Teodoro Bartuccio était élu à la présidence de la FFC ?

Il y a beaucoup de choses à mettre en place. Mais je vais donner quatre mesures qui permettraient, selon moi, d’aller dans le bon sens. Pour commencer, j’aimerais que l’on supprime les grands évènements dans les catégories jeunes (jusqu’à U13 voire U15). Il faut revenir à quelque chose de plus raisonnable avec par exemple l’organisation d’interclubs. Faire 3 ou 4h de route pour participer à une compétition lorsque l’on est enfant, cela n’a pas vraiment de sens. En plus, on surcharge les bénévoles avec de telles manifestations. Puis j’interdirais les capteurs en course jusqu’à la catégorie U15. A ces âges-là, il faut avant tout apprendre à utiliser son corps sans l’inhiber. Ensuite, j’aimerais voir apparaître beaucoup plus de circuits permanents partout en France pour que les cyclistes puissent pratiquer en toute sécurité. On pourrait très bien imaginer la construction de circuits fermés sur route et bien sûr aussi en cyclocross, un peu sur le modèle du BMX. Enfin, et pour revenir aux compétitions, je pense qu’il faut réhabiliter les courses en circuit pour des raisons de sécurité et pour simplifier la vie des organisateurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut